jeudi 26 mars 2020

Garde la pêche, Princesse !

4-8-4*2-3

Bip, bip (la porte s'ouvre) 


- Priscilla ?
Sur son tabouret rotatif sans dossier, Priscilla s'apprêtait à passer encore une journée derrière sa caisse.
Toute la journée, derrière sa caisse enregistreuse elle pense à la tenue qu'elle portera pour aller au bal de samedi soir.
2-3*4-8-4
Samedi matin, elle dort un peu plus longtemps cette fois, ce n'est pas son tour de travailler ce samedi. Elle en fait déjà un sur trois, c'est bien assez, parce que quand elle sors de Auchan le samedi soir après 20 h, elle n'a plus qu'une envie, mais certainement pas celle d'aller danser.
Quand elle arrive dans la cuisine de la maison de famille, ses parents sont attablés avec des inconnus. Sa mère pleure, la tête enfouie dans les mains. Son père a le regard loin et vide, encore plus vide que d'habitude, mais il croise les yeux effrayés de Priscilla... Il l'invite à les rejoindre et la présente aux deux hommes assis autour de la table.
- C'est le Prince de Norvège qui les envoie Priscilla. Ils ont un document pour toi. 
Elle peine à comprendre, mais à la troisième lecture elle réalise qu'elle est une des deux victimes d'un drame, survenu 24 ans plutôt.
Trois jours après toute la petite famille regagnait le Danemark.
Mais alors, et Booba, le Duc de Boulogne ? 
Ho ça, c'est une autre histoire ...
"Garde la pêche, Princesse !" lui a-t-il dit quand elle lui a annoncé la nouvelle...

- Oui ok j'arrive c'est bon !

- Priscilla, vous prenez la 13 !

- Oui d'accord chef.


Elle a été embauché au supermarché du coin le jour de ses 18 ans, juste après son bac en techniques de vente.

A Éleu-dit-Leauwette, son village natal, il y avait bien des activités, l'aïkido, le basket, la randonnée*, pourtant depuis son enfance Priscilla n'avait jamais trouvé de passion pour habiter ses mercredi après midi et ses longs weekends de solitude.

Elle partageait pourtant sa vie entre sa grande tribu de 6 frères et sœurs, sa mère acariâtre et son père au regard éteint. Quant à son boulot de caissière, elle y allait plus pour échapper à sa vie de fille de mineur, grise et austère que par passion professionnelle, autant le dire.

Même si son chef, le grand Kevin, lui tapait un peu dans l’œil depuis quelque temps, elle, elle ne se voyait pas trop avec lui.

Kevin, c'est un prénom dont elle se méfiait Priscilla, elle n'avait jamais compris pourquoi mais il y avait des sujets comme ça, les prénoms dignes des séries TV, comme le sien, les beaufs du bal du samedi soir, ou les potins sur Gala, elle se sentait au dessus parfois.

Elle faisait défiler les années, observatrice d'un quotidien soap et  gluant qui puait l'ennui. Elle rêvait bien d'une vie meilleure, mais surtout elle rêvait d'un avenir loin de sa famille, avec un mari ou une femme à son image. Elle s'en foutait, elle ne sait pas vraiment si elle aimait les filles ou les garçons, elle savait juste qu'elle voulait rencontrer l'amour, enfin, celui digne des contes de fées.


Elle se décide pour un short en jean's coupé, porté sur un legging noir finement pailleté. Une chemise blanche un peu large, nouée à la taille, découvrant un marcel ajouré, surement piqué à un de ses frères. Aux pieds des converses blanches usées comme sa jeune vie.

Ça y est elle a choisi.

Fin de journée.



Bip, bip, (la porte se referme.)

Ce samedi là, donc, c'est son samedi chômé, elle traîne un peu au lit, aide sa mère à préparer des tartes pour le dimanche, la grand-mère vient dîner, faut sortir du bœuf bouilli, c'est dimanche après tout, alors un bon poulet, des frites au four et des tartes aux pommes, ça ira bien. 

L'après midi elle rêvasse à sa vie, ses amours. Claudine sa copine de toujours qui la pousse dans les bras du Duc de Boulogne, elle dit qu'il la reluque. Priscilla elle aimerait bien y croire, un duc, ça fait rêver quand même. 

Alors le soir au bal, elle boit un peu, quelques blancs cassés qui donnent juste envie de danser, ça lui fait du bien de danser.

Et le voilà, le Duc de Boulogne, celui que ses copains appelait Booba, il lui tourne autour, il a un déhanché de dingue, toutes les filles du coin bavent devant ses danses, mais c'est Priscilla qu'il emballe en lui racontant qu'il est un héritier du Comte de Boulogne, ses grosses chaines en or laissent penser qu'il dit vrai. Il est si sûr de lui ce Duc, tout ce qu'elle n'est pas. 

Mais elle en a marre d'attendre en regardant défiler sa vie, elle se laisse aller dans les bras de son Duc.

Le lendemain matin, elle se réveille un peu pâteuse, elle n'y croit pas, elle a enfin franchi le pas. Elle va enfin pouvoir partir de là, vivre une vie plus drôle et moins pouilleuse.

Il lui tend la lettre.

Le jour de sa naissance, le Prince du Danemark, de passage avec son épouse près de Éleu-dit-Leauwette, a dû conduire cette dernière à l'hôpital du coin. Enceinte de 8 mois, elle n'a pas supporté le voyage et s'est vue contrainte d'accoucher à Lens, l'hôpital le plus proche de Éleu-dit-Leauwette, là où est née Priscilla.

Ce n'est que depuis quelques jours qu'ils ont appris que leur fille, Margrethe-Josephine, morte d'une overdose deux semaines plus tôt, avait été en réalité échangée à la naissance avec Priscilla. Ce sont les résultats de l'autopsie qui ont déclenché les recherches et permis de découvrir le drame.

Tellement abasourdis par la nouvelle, ils ont envoyé leurs avocats pour proposer à Priscilla de reprendre sa place de fille aînée au royaume du Danemark et de devenir Princesse Priscilla-Josephine. 


**** histoire inspirée par Valentin au temps du Corona*****

La petite princesse

Il disait : « Tu es ma petite princesse », ses grands bras entourés autour de moi. Et moi dans ses yeux je me voyais avec une robe rose à paillettes. Et mon cœur était tout chaud de l’amour contenu dans ses baisers.

Puis le bruit, les cris, le froid. Notre maison sans toit, maman couchée dans la poussière avec une flaque rouge sous la tête.

Puis la fuite, la marche, longtemps, ma main serrée dans sa main.
Puis mouillée serrée terrorisée au fond du bateau avec des dizaines d’autres. Puis les vagues hautes comme des maisons et le bateau retourné. Des bras qui me soutiennent, me jettent sur une plage.

Je ne suis plus la princesse de personne. Je patauge dans la boue de ce camp, seule, affamée. Je n’ai pas revu mon père depuis le bateau. Viendra-t-il me chercher ? Le soir je m’enroule dans cette mince couverture, dans cette tente que je partage avec d’autres enfants, dont la plupart ne parlent pas la même langue que moi, et j’essaie de recréer autour de moi la chaleur rassurante de ces grands bras.

Viendra-t-il me chercher ? Viendra-t-il me chercher ?...