mercredi 31 octobre 2018


Rencontre improbable

De passage à Sceaux du Gâtinais, sur la route du retour après une formation à Auxerre, je m’arrête pour faire un tour car c’est la ville natale de ma grand-mère. Je vais explorer le cimetière. Le nom de jeune fille de ma grand-mère est Léger, un nom courant, mais je me rends compte que je ne connais pas les prénoms de mes arrière-grands-parents, que je n’ai jamais connus. Ma grand-mère ne m’a jamais parlé de ses parents, elle qui est si prolixe sur son enfance, mais ma petite mamie est plutôt égocentrique... Après plusieurs allées et venues dans le cimetière, qui est petit, je ne vois aucune tombe au nom de Léger. À l’arrière du cimetière, une petite grille s’ouvre sur un chemin bordé d’herbes folles. On est en juin, le soleil chauffe doucement, les oiseaux m’invitent et je cède. Une petite promenade champêtre avant de reprendre la route me fera le plus grand bien ! Au bout de quelques minutes, une belle touffe d’herbe au pied d’un arbre me tend les bras. Je m’assois et m’adosse au tronc. L’air est chargé du parfum d’un seringat tout proche. J’entends le doux chuchotis d’un ruisseau que je ne vois pas. Si le paradis existe, il doit ressembler à cela…

Soudain je remarque une petite fille sur le chemin qui marche d’un bon pas. Je lui dis bonjour. Elle sursaute, me regarde puis éclate de rire.
« Vous m’avez fait peur, je ne vous avais pas vue.
- Pardon ! Je ne voulais pas t’effrayer. »
Je l’observe plus attentivement. Elle porte une robe trop grande pour elle, un peu usée mais propre, ce doit être la robe de sa grande sœur. Elle a les genoux et les mains sales d’une enfant qui a traîné toute la journée dans les bois. Ses cheveux châtain clair sont un peu emmêlés et attachés par un ruban effiloché. Son petit visage triangulaire est habité d’un regard brun pétillant. Je lui demande :
« Que fais-tu par ici, tu te promènes ?
- Oui, aujourd’hui c’est dimanche, il n’y a pas d’école. Maman et mes grandes sœurs travaillent au potager. Mais elles trouvent que je suis dans leurs pattes et que je les gêne, alors je suis partie avant de me faire chasser. »
Elle rit encore.
« Je peux m’asseoir à côté de vous pour manger ?
- Bien sûr ! »
Elle sort de la poche de sa robe une pomme de terre et commence à la croquer avec la peau.
«  C’est tout ce que tu as pour manger ?
- Oui, maman n’a pas eu le temps de faire du pain hier. Et de toute façon, je crois qu’il n’y avait plus de farine…
- J’ai un paquet de gâteaux dans mon sac, tu en veux ?
- Oh oui ! Merci beaucoup ! »
Je la regarde dévorer les gâteaux, puis ramasser une à une les miettes tombées sur ses genoux.
« Comment tu t’appelles ?
- Lucie.
- Lu…
- Oui Lucie. Ces gâteaux m’ont donné soif, je vais boire au ruisseau. »
Elle se lève d’un bon et disparaît derrière un buisson.

Le soleil qui baisse passe sous les branches de l’arbre sous lequel je suis assise et m’éclaire le visage. La lumière orange et rose derrière mes paupières me réveille en sursaut.

Il faudra que j’appelle mamie Lucie pour lui dire que je me suis arrêtée à Sceaux.

Mme de K

lundi 22 octobre 2018

Rencontrer D.


 Consigne de Madame de K : Ecrire sur le thème "une rencontre improbable"

Je dois rencontrer Damien à la fin de la course. 


Ça fait déjà quelques semaines qu’on échange des messages sur un site de rencontres à la con. Je me promets toujours de ne plus le fréquenter mais j'y reviens quand même parce que, malgré tout, je ne connais pas trop d’autres moyens de rencontrer des têtes nouvelles.

Alors la course du mois dans ma ville, à laquelle on s’est inscrit tous les deux avant même de se connaître, c’est quand même l’occasion en or de se croiser « en vrai ».


En sortant devant chez moi, j’ai un temps d’hésitation sur le chemin le plus court pour aller jusqu’au départ de la course.


Je croise alors un bonhomme d’une soixantaine d’années, avec un dossard identique au mien, une tignasse blanche ébouriffée et un grand sourire. 
Il me voit hésiter dans la rue : « Vous cherchez quelque chose ? » 
Je lui réponds : « Non. Enfin oui… Je me demandais par où partir pour aller au plus court ! »   
Il m’indique le chemin qu’il compte prendre ; on va au même endroit, alors on accorde nos pas assez naturellement et on commence à papoter, avec pour point d’accroche la couleur identique de notre sas de départ.


Il me raconte : cette course, c’est son défi de « retour à la vie normale» après un triple pontage et les mois de rééducation qui vont avec. Il va faire le parcours en marche rapide, pas en running, sans l’aval de son généraliste… mais avec la bénédiction de son cardiologue ! Il m’a offert son histoire avec un regard pétillant : celui du mec qui sait ce qu’est le prix d’une vie en bonne santé, celui du mec qui sait qu’il faut aller chercher certaines choses et ne pas les attendre.


Évidemment, je lui raconte MA rencontre avec le scalpel et les raisons de mon choix.

Évidemment, il comprend et approuve.

Évidemment.


A la fin de la course, je n’ai pas rencontré Damien. Cette rencontre-là viendra plus tard, j'en suis certaine.


Mais au départ de la course, j’ai rencontré Didier. 
Parce que c’était le bon moment et le bon partenaire pour avancer jusqu’à la ligne de départ.   
Parce qu’il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.

C’est juste que parfois, ce ne sont pas ceux qu’on attendait, mais ça n’enlève rien à leur grande valeur !

Par MissTortue

mercredi 10 octobre 2018

La descente du larynx



Rappel de la consigne :
Piochez au hasard deux phrases dans ces extraits d’articles de presse. Oui, oui, au hasard. Vous pouvez imprimer, découper, dispacher dans un chapeau puis piocher, ou simplement fermer les yeux et pointer au hasard une zone de votre écran et voir sur quelle phrase vous tombez. Vous débuterez votre texte par une de ces phrases, et le terminerez par l’autre. Il faudra développer un texte entre les deux, peu importe sa longueur, son thème ou son style. Vous n’êtes pas obligés de raconter une histoire, mais il faudra être cohérent.
 
 
Il y a environ cinq millions d’années, l’homme a commencé à se redresser, permettant à son cerveau de se développer et à son larynx de descendre plus bas dans le cou. (1)



Il y en a quelques-uns qui ont dû zapper la première partie, celle où il est question de « développement ».

Ah, certes, ils ont la parole, il faut voir le nombre de conneries qu’ils débitent grâce à la descente de leur larynx. Le son vibre dans leurs cordes vocales, utilise toute les résonances de la gorge, du nez, des pommettes, des sinus,… et de leur crâne vide !

Leur cerveau, réduit à l’état de petit pois permet tout au plus un léger bruit de sifflet quand ils se mouchent ! Mais c’est tout !

Ceux-là, on aurait préféré qu’ils ne se redressent pas, il y a « environ cinq millions d’années ».

Parce que quitte à ne rien changer pour leur développement cérébral, ça aurait évité à nos oreilles de profiter d’un flux de sons aussi dénués de sens que les « rires en boîte » des mauvaises séries télé.

Ils auraient continué leur déplacement quadrupédique en pissant sur les arbres et les poteaux si ça les amusait, et auraient permis à la partie « redressée » de l’humanité d’avoir de vraies conversations sans le parasitage d’une profusion de discours aux vertus laxatives !

Ah oui, parce qu’en plus, des discours, ils en font ! Faut dire que certains parviennent à se faire élire, dans de grands états même ; et qu’en accédant au pouvoir, ils se permettent des discours pleins de racisme, de haine, d’intolérance, de régression, d’atteinte à la dignité, …

J’en tremble.

De peur pour mes congénères les plus faibles.

De honte pour l’ensemble des humains « redressés » qui ont développé leurs capacités réflexives et les utilisent au quotidien sans pour autant trouver de solution à cette gangrène qui pourrit l’humanité tout entière.



Bref, je m’aperçois que je n’aime vraiment pas les cons. Preuve en est qu’en pratiquant l’introspection, nous améliorons notre connaissance de nous-mêmes et nous prenons conscience de nos émotions. (2) Mais on ne fait pas avancer le schmilblick pour autant !


Miss Tortue

(1) (« Ça m’intéresse » sur la voix, juin 2018, p48)
(2) (« Flow », Février 2017, p75)

dimanche 7 octobre 2018

Prise de conscience

Consignes de Manue : Choisir dans une revue au hasard, 2 phrases, l'une sera un début d'histoire, l'autre la fin. J'ai pris les phrases au pif, dans un elle chez le coiffeur !



[Cela fait des années que je travaille pour aboutir à cette prise de conscience.]

Depuis mes 15 ans et cet effondrement physique, ça tourne en boucle dans ma tête. 
Pourquoi ? Pourquoi la voisine avait fait ça avec mon père ?

Quand j'ai compris que m'alimenter servait mon corps et mon âme, je devais avoir dans les 7 ou 8 ans et  j'ai commencé à jouer avec cette nourriture, une fois je me gavais, une fois je jeûnais, une fois je mangeais normalement, si possible, dans les moments où on s'attendait le moins à une nouvelle crise alimentaire de la petite.
Bien sûr on me prenait pour une anorexique, tellement facile, tellement pratique toutes ces petites cases rassurantes dans lesquelles on s'amusait à nous mettre, les uns les autres.

"Ho la la, non, Macha, ça ne s'arrange pas si tu savais, la semaine dernière elle a vidé le garde-manger, cette semaine pas moyen de lui faire avaler un bouillon, vivement que cette crise d'adolescence passe parce que je ne sais plus quoi faire"

(Ah ouais ? Tu sais plus quoi faire pauvre maman chérie ? Et si tu commençais par vraiment tenter quelque chose au lieu de te lamenter vers tes copines, sans jamais t'adresser à moi ?)

Moi, ma seule envie c'était qu'on me regarde, qu'on s'occupe de moi. Mais là c’est sur, c'était trop demander.
Les parents avaient mieux à faire avec leurs histoires sordides de gens bien dégoulinants toujours over débordés !

En fait c'est la fille de la coiffeuse qui m'a vendu la mèche un jour. Elle est arrivée bille en tête dans la cour du collège, avec ses supers Docks que je lui aurais bien piqués et elle a balancé :
"Hey Macha, t'as vu ton père avec la voisine ? C'est moche ce qu'ils font ensemble" et elle est partie comme ça, en rigolant avec ses deux morveuses de copines en bois !

On devait être en cinquième, puisque ce n'était pas l'année de découverte du collège, je me souviens que je connaissais déjà du monde, je circulais facilement, alors que l'année de sixième, elle avait été bien plus compliquée. Donc cinquième, on a quoi ? 12 ans ? oui c'est ça parce que la plongée en fait c’est à l'entrée au lycée qu'elle a eu lieu, oui c'est ça, ça colle. 
N'empêche quand t'y penses, ça m'aura pris tout le collège cette histoire, ce ragot de bas étage qui a fait de moi la paria du collège et l’énigme de la famille. Adolescence dépressive et abîmée.

Je vais la faire courte hein, mais en gros pendant toutes mes années collège, ça a été un jeu de me torturer avec cette histoire entre mon père et la voisine. Un jeu pervers puisque je n'ai jamais su de quoi il s'agissait vraiment, je veux dire que tout était constamment sous-entendu. Et le pire c’est qu'au collège quand t'es fragile, ça les amuse les solides, ça les amuse de te voir sombrer de plus en plus.
Petit à petit, je me suis coupée de tout, de tout le monde, j'allais en cours, je rentrais, je faisais mes devoirs, je mangeais, ou pas, et je restais dans ma chambre, seule. J'ai laissé passer les années, dans la confusion, la tristesse et le manque d'amour.

C'est en arrivant au lycée à 15 ans, que j'ai réalisé l'ampleur des dégâts. Un vrai choc pour moi !

En fait le lycée était tout neuf, grand et étonnant, des œuvres d'art trônaient devant, dont une, bizarre, plutôt phallique mais pas si flagrant que ça non plus. Une plaque était fixée devant avec dessus un nom gravé, Régis Morvan, mon père ! Il avait fabriqué ce "totem" à la demande de la voisine, Mylène Poidevin, qui était l'élue à la Culture de la ville. 
Mais comme ma mère et elle n'avaient pas du tout les mêmes idées politiques, elles ne s'adressaient jamais la parole et moi pendant toutes ces années, on m'avait menée en bateau, fait croire des choses sans jamais me les dire. On s'était amusé de ma naïveté, de ma candeur et dans ma vie sans amour, je n'avais jamais perçu à quelle point cela avait été dévastateur.
C’est là que j'ai sombré, je suis vraiment devenue anorexique et j'ai fini hospitalisée, le reste du lycée s'est passé sans lycée en fait. 
Mais c'était le mieux qui pouvait m'arriver, j'ai plongé corps et âme dans mes études, j'ai eu mon bac haut la main et aujourd'hui je suis psychanalyste, je traite essentiellement des mythomanes et des manipulateurs, je ne peux pas m'occuper de jeunes en détresse physique, à chaque fois que j'essaie je replonge.
Jusqu'à cette jeune fille arrivée la semaine dernière dans mon bureau en urgence. 

J'ai commencé par l'écouter et ma première phrase a été : "Même si cela vous semble impossible, il faut essayer de vous connecter à vos parents et ne surtout pas écouter tout ce que les gens disent autour de vous. Vous savez, souvent ce sont les enfants qui aident les parents à grandir, ils ont besoin de vous pour apprendre à vous parler, faites vous confiance, parlez leur, aidez les pour vous aider. Pour moi c’est trop tard, les miens ne sont plus là et je n'ai pas su leur apprendre à m'aider, mais je serai là pour vous, on va travailler ensemble".

Je crois que finalement je vais pouvoir écouter tout le monde maintenant. Et même si ce n'était pas ma responsabilité d'enfant d’éduquer mes parents, si quelqu’un m'avait au moins conseillé de leur parler, le cours de ma vie aurait changé !
Il est tard, j'ai fait une journée de 10 h aujourd'hui, Pablo m'attend à la maison, il a préparé un plateau sushis comme on les aime, on doit regarder "Sur la route de Madison" mon film énergisant, ressourçant, le film de ma vie. Et après 10 ans de vie commune, je commence à lui livrer des bouts de moi, commençons par les choses que j'aime, les films de ma vie ...






[Alors que le crépuscule vient de tomber brusquement, le trafic sur l'avenue de la Marne se fait moins dense.]

jeudi 4 octobre 2018

Gelée royale

Rappel de la consigne de Miss Tortue :
Piochez au hasard deux phrases dans ces extraits d’articles de presse. Oui, oui, au hasard. Vous pouvez imprimer, découper, dispacher dans un chapeau puis piocher, ou simplement fermer les yeux et pointer au hasard une zone de votre écran et voir sur quelle phrase vous tombez. Vous débuterez votre texte par une de ces phrases, et le terminerez par l’autre. Il faudra développer un texte entre les deux, peu importe sa longueur, son thème ou son style. Vous n’êtes pas obligés de raconter une histoire, mais il faudra être cohérent.

Pour la phrase de début, j'ai pioché dans un livre et pas un article. J'ai ouvert au hasard et mis mon doigt en fermant les yeux. Le livre c'est "Kiss kiss", nouvelles de Roald Dahl. La phrase : Quelle est cette merveilleuse substance appelée gelée royale ?

Pour la phrase de fin, j'ai choisi (pas au hasard donc) un proverbe breton, pour faire une fin genre "morale des fables de La Fontaine". La  phrase : Pep hini e vicher ha ne deuio ket ar c'haz d'al laezh
Traduction mot à mot : à chacun son métier et le chat n'ira pas au lait, soit l'équivalent de : à chacun son métier et les vaches seront bien gardées.


« Quelle est cette merveilleuse substance appelée gelée royale ? » me demande la bouche en cul de poule une grosse dame débordant de son short en jean.

Quand j’ai accepté ce travail d’été chez un apiculteur des monts d’Arrée, je voulais tout apprendre sur les abeilles, le miel, les ruches. Je voulais devenir un happy culteur. Je ne pensais pas me retrouver dans une boutique à répondre aux questions niaises de touristes enrobàfleurisées aux épaules rouges. Seulement monsieur Mainguy, l’apiculteur, ne veut pas me laisser toucher aux ruches, sous prétexte que je ne suis pas formée et que c’est un boulot qui ne s’improvise pas. Ce qu’il ne sait pas, c’est que j’ai pris des livres à la médiathèque et que j’ai écumé Youtube à la recherche de tutoriels. J’en sais probablement autant que ce grand benêt de Kevin, le stagiaire qui est arrivé ce matin. C’est un grand échalas boutonneux, avec de grandes mains au bout de bras interminables, grand, voûté, la mèche sur l’œil et la bouche ouverte. Il vient d’un lycée agricole. Mais agricole n’est pas apicole, pourquoi lui aurait le droit d’approcher les butineuses et pas moi ? Je crois que ce gars-là est ma chance d’échapper à ma corvée de boutique. Il ne sait pas encore, puisqu’il vient d’arriver, que je n’ai pas le droit d’approcher des ruches. La prochaine fois qu’il passe à proximité, je l’alpague et je l’embauche direct. Au début il a bien l’air un peu étonné que je lui propose d’échanger de boulot et de me remplacer à la vente, mais comme il est d’un naturel plutôt bonnasse, il accepte de nouer autour de sa taille le joli tablier orné de cellules hexagonales et il s’installe derrière la caisse.
Avant que monsieur Mainguy s’aperçoive de la supercherie, je file dans le hangar et enfile une combinaison et un chapeau grillagé. Je suis bien plus petite que Kevin, mais de loin, qui verra la différence ? Je m’en vais nonchalamment (pour que mon allure ressemble à celle du nonchalant stagiaire) vers le bas du pré rempli de fleurs des champs et des gerbes de sauterelles sautent de tous côtés au fur et à mesure de ma progression. Quand je serai arrivée au niveau des ruches, la pente me rendra invisible depuis la maison. Je sais exactement comment il faut faire : il faut endormir la méfiance des abeilles à l’aide de l’enfumoir. « La fumée a pour effet de masquer les phéromones émises par les ouvrières, donc de calmer la colonie, qui se réfugie dans le corps de la ruche (partie inférieure). Après le départ de l'apiculteur, les abeilles ventilent énergiquement la ruche pour purifier leur air, et recouvrent une activité normale dans la demi-heure » ; c’est ce que j’ai appris au cours de mes études sur Wikipédia. Ensuite il faut enlever le toit, sortir un cadre, vérifier qu’il est plein de miel et l’amener dans le hangar pour le mettre dans la centrifugeuse. Seulement voilà, je ne sais plus à quel endroit il faut envoyer la fumée… J’asperge donc copieusement de fumée tous les alentours de la ruche en espérant que ça sera suffisant. J’ouvre le toit de la ruche – oh la vache, c’est lourd ! – et je le cogne contre la ruche avant de le poser, pas très délicatement j’avoue… Les abeilles zonzonnent autour de la ruche et ne semblent pas très contentes de tout ce ramdam, ni très anesthésiées… J’attrape un des cadres, et là j’ai la sensation que les abeilles volent autour de moi de façon agressive. Je ne demande pas mon reste et je file vers le hangar avec le cadre brandi des deux mains devant moi, sans prendre le temps de vérifier s’il est bien plein. L’enfumoir pendu à ma ceinture au bout d’une ficelle un peu trop longue s’emmêle dans mes jambes et, emportée par mon élan, je me vautre dans l’herbe, sur le cadre qui émet un craquement de mauvais augure. Je me relève, le devant de ma combinaison est gluante de miel et le cadre dans l’herbe également. Le miel est irrécupérable… Quand monsieur Mainguy va voir ça, je vais prendre un sacré savon !
C’est alors que j’entends un vrombissement furieux derrière moi. Je me retourne et je vois avec effroi une nuée serrée d’abeilles qui fonce droit sur moi ! Oh non !... je suis sure que les abeilles, en colère de voir leur travail gâché, vont me faire subir une punition pleine de piquant. À choisir, je me demande si l’engueulade de monsieur Mainguy ne me fait pas moins peur. Je mets dans un réflexe de survie mes bras devant mon visage. Malgré la combinaison et le chapeau grillagé, les abeilles vont trouver des interstices dans lesquels s’immiscer et je vais finir aux urgences avec un choc anaphylactique. Ce sont encore mes lectures sur l’apiculture qui m’ont appris ce mot, c’est un état de choc dû à une trop grande quantité de venin d’abeille, toxique et allergisant, qui peut entraîner la mort. Malgré la panique, une petite voix à l’intérieur de moi se demande pourquoi 1) je ne vois pas le film de ma vie défiler devant mes yeux et 2) pourquoi le bourdonnement, qui reste fort ne se rapproche pas.
Je relève la tête et enlève les bras de devant mon visage précautionneusement. Et je vois les abeilles qui dansent un étrange ballet devant moi. Elles font du sur-place et dessinent des signes en l’air, c’est une écriture ! Je déchiffre : « Pep hini e vicher ha ne deuio ket ar c'haz d'al laezh* ». La plus grande découverte du siècle, que dis-je, du millénaire : les abeilles parlent breton ! ! !

* Traduction mot à mot : à chacun son métier et le chat n'ira pas au lait, soit l'équivalent de : à chacun son métier et les vaches seront bien gardées.

Mme de K