Rencontre improbable
De passage à Sceaux du Gâtinais, sur la route du retour
après une formation à Auxerre, je m’arrête pour faire un tour car c’est la
ville natale de ma grand-mère. Je vais explorer le cimetière. Le nom de jeune
fille de ma grand-mère est Léger, un nom courant, mais je me rends compte que
je ne connais pas les prénoms de mes arrière-grands-parents, que je n’ai jamais
connus. Ma grand-mère ne m’a jamais parlé de ses parents, elle qui est si
prolixe sur son enfance, mais ma petite mamie est plutôt égocentrique... Après
plusieurs allées et venues dans le cimetière, qui est petit, je ne vois aucune
tombe au nom de Léger. À l’arrière du cimetière, une petite grille s’ouvre sur
un chemin bordé d’herbes folles. On est en juin, le soleil chauffe doucement,
les oiseaux m’invitent et je cède. Une petite promenade champêtre avant de reprendre
la route me fera le plus grand bien ! Au bout de quelques minutes, une
belle touffe d’herbe au pied d’un arbre me tend les bras. Je m’assois et
m’adosse au tronc. L’air est chargé du parfum d’un seringat tout proche.
J’entends le doux chuchotis d’un ruisseau que je ne vois pas. Si le paradis
existe, il doit ressembler à cela…
Soudain je remarque une petite fille sur le chemin qui
marche d’un bon pas. Je lui dis bonjour. Elle sursaute, me regarde puis éclate
de rire.
« Vous m’avez fait peur, je ne vous avais pas vue.
- Pardon ! Je ne voulais pas t’effrayer. »
Je l’observe plus attentivement. Elle porte une robe trop
grande pour elle, un peu usée mais propre, ce doit être la robe de sa grande
sœur. Elle a les genoux et les mains sales d’une enfant qui a traîné toute la
journée dans les bois. Ses cheveux châtain clair sont un peu emmêlés et
attachés par un ruban effiloché. Son petit visage triangulaire est habité d’un
regard brun pétillant. Je lui demande :
« Que fais-tu par ici, tu te promènes ?
- Oui, aujourd’hui c’est dimanche, il n’y a pas d’école.
Maman et mes grandes sœurs travaillent au potager. Mais elles trouvent que je
suis dans leurs pattes et que je les gêne, alors je suis partie avant de me
faire chasser. »
Elle rit encore.
« Je peux m’asseoir à côté de vous pour manger ?
- Bien sûr ! »
Elle sort de la poche de sa robe une pomme de terre et
commence à la croquer avec la peau.
« C’est tout ce que tu as pour manger ?
- Oui, maman n’a pas eu le temps de faire du pain hier. Et
de toute façon, je crois qu’il n’y avait plus de farine…
- J’ai un paquet de gâteaux dans mon sac, tu en veux ?
- Oh oui ! Merci beaucoup ! »
Je la regarde dévorer les gâteaux, puis ramasser une à une
les miettes tombées sur ses genoux.
« Comment tu t’appelles ?
- Lucie.
- Lu…
- Oui Lucie. Ces gâteaux m’ont donné soif, je vais boire au
ruisseau. »
Elle se lève d’un bon et disparaît derrière un buisson.
Le soleil qui baisse passe sous les branches de l’arbre sous
lequel je suis assise et m’éclaire le visage. La lumière orange et rose derrière
mes paupières me réveille en sursaut.
Il faudra que j’appelle mamie Lucie pour lui dire que je me
suis arrêtée à Sceaux.
Mme de K